Le système, l’anti- système et les tirailleurs( Par Félix Mboup)
Senghor avait, dans un poème encore frais dans la mémoire des écoliers d’Afrique, rendu un vibrant hommage aux tirailleurs sénégalais qui, dans bien des fronts, ont fait preuve de bravoure, d’ héroïsme et de détermination pour aider la France à se libérer. Le poète du Sine que la Seine inspire disait dans ce poème : « Vous Tirailleurs Sénégalais, mes frères noirs à la main chaude sous la glace et la mort,/ Qui pourra vous chanter si ce n’est votre frère d’arme, votre frère de sang?/ Je ne laisserai pas la parole aux ministres et pas aux généraux, /Je ne laisserai pas -non!-les louanges de mépris vous enterrer furtivement».Dans un ton grave empreint de colère, Senghor refuse que les tirailleurs meurent d’une mort inutile.
Le drame des tirailleurs a été aussi poignant qu’il est rare de voir une famille dont un des ascendants n’a pas été dans cette guerre que l’humanité consciente menait contre le fruit du populisme à savoir Hitler. Me rappelant les photos de mes grands-pères Mame Fègne Mbaye de Khombole , Mame Modou Mbaye de Mbao, j’ai le coeur plein d’émotions et le coeur déchiré mais aussi j’éprouve de la fierté. Ils étaient dans ces photos en tenues de tirailleurs, l’arme à la main, le sourire radieux et le regard hardi.C’est dire que de tout temps, le débat sur les tirailleurs a été entretenu et par les artistes et par la gauche et par les scientifiques. Il n’est pas un débat nouveau. Mieux, une historienne française s’intéresse à la question, fait des pèlerinages dans le cimetière de ces héros et exige que la vérité historique soit rétablie. Rien n’est nouveau sous nos cieux. De plus, Sembene embouche la même trompette que Senghor et chante la gloire des tirailleurs dans son film Thiaroye 44. Boubacar Boris Diop fera de même, dans une pièce de théâtre Thiaroye terre rouge. Après avoir attiré l’attention de la France sur les exactions que commit une partie de ces fils sur nos parents, il urge, de mon point de vue, de détourner le regard du rétroviseur, de se pencher sur le présent, afin de mieux se projeter vers l’avenir. Les postures populistes, puériles et trop émotives ne nous mèneront à rien. Je ne disculpe pas la France . Je ne veux non plus étouffer la mémoire. On peut pardonner mais jamais on ne doit oublier. Si l’on oublie, la mémoire, pour parler comme Birago Diop, en rammasant du bois mort, peut nous emmener n’importe quel fagot.
L’heure est au débat sur les vrais enjeux à savoir la question des inondations , de l’école, de la souveraineté alimentaire, de l’éducation et de l’emploi des jeunes. Nous tourner sur les traces du colonisateur pour construire une vision panafricaniste très étriquée ne fait que nous maintenir au fond du gouffre. De nouvelles thématiques autres que celles portant sur les détournements, les deballages, la partisanerie, doivent être abordées avec lucidité, profondeur et surtout intelligence. Mais, soulever des débats des années 40 nous maintiennent dans un nombrilisme fatal et la nostalgie d’une Afrique non- prométhéenne.
Félix Mboup