OPINION-DIAGNOSTIC DE LA RESTRUCTURATION DES ENTREPRISES EN DIFFICULTE ET LES MESURES IDOINES( Par Abo Sall)
Contexte historique de la restructuration des entreprises nationales en difficulté
Dans son Discours de politique Générale, Mr le Premier Ministre, Ousmane SONKO a réaffirmé la volonté et la détermination du nouveau gouvernement qu’il dirige de faire de « la restructuration des entreprises publiques en difficulté », une priorité pour le Sénégal.
Dans un tel contexte, il me parait important de faire un diagnostic de la restructuration afin d’identifier les facteurs de blocage dans la mise œuvre des stratégies de restructuration et de proposer des solutions qui nous paraissent idoines.
Lorsque l’on parle des entreprises en difficulté, au Sénégal, les esprits se tournent vers les entreprises publiques et parapubliques. La plupart de ces entités ont été créées selon le modèle Français avec comme objectif pour l’Etat d’assurer le service public et de garantir la souveraineté dans les secteurs vitaux (Electricité-Eau-Télécommunication-Industrie agro-alimentaire …).
Avec une mauvaise gouvernance, la situation financière de ces entreprises s’est dégradée au fil des ans en les conduisant au bord de la faillite obligeant l’Etat à les subventionner pour assurer leurs hypothétiques survies.
Les ajustements structurels des années 80 et 90 initiés par les institutions internationales (Banque Mondiale. Fonds monétaire international …) ont contraint l’Etat du Sénégal à se désengager en partie de la gestion des entreprises publiques. La crise des années 70 et 80 a obligé les états à renoncer à continuer de subventionner des entreprises structurellement déficitaires. C’est ainsi que l’Etat a été contraint par les bailleurs à se désengager du secteur bancaire et financier en mettant en liquidation les banques nationales déficitaires (BNDS, SONAGA, SOFISEDIT-SONABANQUE …). Alors la Société Nationale de Recouvrement (SNR) a été créée avec pour mission de recouvrer l’actif des banques nationales en faillite et de payer le passif.
Toutes ces mesures n’auront pas suffi à empêcher la défaillance de nouvelles entreprises déficitaires dont les plus connues sont, les Industries Chimiques du Sénégal, la SONACOS, SODEFITEX, SOTRAC… de par le rôle crucial qu’elles jouent dans l’économie nationale.
Sous la pression des bailleurs de fonds, l’Etat du Sénégal était obligé de procéder à la privatisation partielle ou à la mise en concession d’entreprises publiques telles que : SONACOS, Chemins de Fer du Sénégal, SENELEC, ICS. Ces restructurations n’ont pas été couronnées de succès, car les entreprises ont continué à être déficitaires en dépit du désengagement de l’Etat sur instructions des institutions financières internationales.
Quelques années plus tard, la situation financière de ces entreprises ne s’est pas améliorée, ce qui a de nouveau conduit l’Etat à reprendre le portefeuille de certaines de ces structures en les nationalisant, estimant qu’elles sont stratégiques pour l’économie du Sénégal (SENELEC, SONACOS, Chemins de Fer, DAKAR DEM-DIK).
L’objectif stratégique de la restructuration des entreprises en difficulté est de leur permettre d’assurer leurs équilibres financiers en se passant des subventions d’exploitation de l’Etat, de jouer pleinement leurs missions de service public et de conserver voire créer des emplois viables.
Diagnostic des échecs de la restructuration
Certaines entreprises nationales ou à participations publiques majoritaires occupent une place vitale dans l’économie. Il en est ainsi de la SENELEC qui fournit l’électricité, principale composante du coût de production pour les entreprises industrielles sans oublier la satisfaction des ménages en électricité.
A ce titre, elle doit avoir pour obligation de fournir l’électricité aux entreprises à moindre coût pour leur permettre d’être compétitives et rentables. La SONACOS qui dispose aujourd’hui un outil production obsolète doit être en mesure de racheter toute la production agricole arachidière et la production de l’huile et des produits dérivés à des prix concurrentiels.
Les mesures ponctuelles et conjoncturelles d’interdiction des exportations d’arachide vers la Chine ne suffisent pas pour garantir à la société sa stabilité et sa rentabilité.
Pourquoi depuis trente ans les différents régimes qui se sont succédés (de Abdou Diouf à Macky SALL ) n’ont pas réussi à relancer les entreprises en difficulté ?
Dans ce contexte, il nous a paru opportun d’apporter notre réflexion en analysant les mécanismes actuels de suivi de la restructuration et d’esquisser des solutions pour les rendre plus efficaces afin de pouvoir atteindre les objectifs fixés, voire les dépasser.
Le choix du profil du top management
Le top management repose essentiellement sur la Gouvernance et le choix de la Direction Générale.
Jusque-là les Directeurs Généraux et les Secrétaires Généraux ainsi que les Présidents de Conseil ont été nommés par décret sans au préalable s’assurer qu’ils ont un bon profil, c’est-à-dire celui qui doit répondre à deux critères essentiels à savoir avoir une expérience pour diriger une entreprise et une connaissance du secteur d’activité, sans oublier l’importance des qualités de probité et de rigueur.
Les Directeurs de ces structures devront être choisis sur la base de critères techniques précis intégrant l’expérience, la connaissance du secteur et l’intégrité.
La responsabilité de la Direction Générale et du Président du Conseil pour la mise en œuvre du plan de restructuration doit être renforcée comme c’est le cas dans les entreprises privées où le management est tenu de répondre à la justice en cas de faute de gestion grave.
Dans certains cas, l’Etat pourrait recourir à un management de transition en confiant la Direction à un manager de transition s’engageant à appliquer le plan de restructuration sur une durée limitée sous contrôle du Conseil d’administration et des structures de l’Etat concernées.
Elaboration des plans de restructuration –suivi évaluation
La restructuration des entreprises passe en premier lieu par l’élaboration d’un plan de restructuration.
Le plan de restructuration devra indiquer toutes les mesures financières, économiques et sociales qui permettront le redressement de l’entreprise en difficulté.
Ce plan doit avoir une adhésion de toutes les parties prenantes (l’Administration Fiscale, les organismes sociaux, les banques, le personnel …).
Du côté de l’Etat les ministères (notamment le Ministère des Finances et les tutelles techniques) devront être impliqués.
Ce plan de restructuration devra être accompagné d’un plan stratégique et d’un contrat de performance.
Planification, suivi-évaluation du plan de restructuration
La planification permettra de programmer toutes les actions et mesures prises pour permettre à l’entité concernée de retrouver son équilibre dans le temps.
Jusque-là, les entreprises en restructuration ne produisent que des états financiers annuels qui ne sont généralement disponibles qu’après leur approbation à savoir dans les six mois suivant la clôture annuelle des comptes.
Pour assurer l’atteinte des objectifs fixés par le plan de restructuration le mécanisme de suivi-évaluation doit exiger que les entités concernées produisent un tableau de bord intégrant les éléments clefs de la gestion. Ce tableau de bord qui sera produit périodiquement (trimestre- semestre- année) avec des indicateurs précis, permettra au CIREP d’apprécier l’impact des mesures, et le cas échéant, de revoir les orientations.
Réformes institutionnel des mécanismes de suivi de la restructuration
Le CIREP (Comité Interministériel de Restructuration des entreprises en difficulté) a été créé par le gouvernement de Abdoulaye Wade avec pour mission d’accompagner la restructuration des entreprises en difficulté. Il a été rattaché à la Primature.
Les compétences du CIREP doivent être élargies dans les différentes phases que connaissent les entreprises en difficulté à savoir :
Le diagnostic des difficultés de l’entité,difficultés d’ordre financier, fiscal, social, managérial, environnemental etc. ;
L’élaboration du plan de restructuration ;
La mise en œuvre et le suivi du plan.
Pour réaliser ces différentes phases, le CIREP doit comprendre en son sein des experts spécialisés dans les domaines précités et parfois recourir à des experts consultants en cas de besoin.
Enfin, l’accent devra être porté sur la nécessité d’élargir la composition des membres du Secrétariat Général du CIREP à tous les ministères parties prenantes de la restructuration notamment :
Le Ministre des Finances et du Budget : pour les aspects financiers et fiscaux
Le Ministère tutelle technique de l’Entité : pour les aspects sectoriels et stratégiques ;
Le Ministère du Travail et de la Fonction Publique : pour les aspects juridiques liés au droit du travail ;
Le Ministère de la Justice : responsable des aspects juridiques liés au droit des affaires ;
Le Secrétariat Général du Gouvernement.
Création d’un fonds de restructuration
Le CIREP ne bénéficiant pas d’un levier financier lui permettant d’intervenir financièrement en faveur des entreprises en difficulté, la création d’un fonds de restructuration à l’instar des normes internationales devrait permettre au CIREP de répondre aux besoins financiers du financement des plans de restructuration.
L’Etat doit associer au financement de ce fonds, les institutions financières internationales (BAD-BIRD-AFD), ainsi que les fonds souverains.
Monsieur Abo Mbaye SALL
Expert-Comptable Diplômé- Commissaire aux comptes
Conseiller spécial des Premiers Ministres Aminata TOURE et Mouhamed B DIONE et
Coordonnateur du CIREP de 2013 à 2019